Contre le droit au travail

61ndb67Qz4LAlexis de Tocqueville, Contre le droit au travail, préface de Pierre Bessard, Les Belles Lettres, à paraître le 14 septembre 2015.

Prononcé à l’Assemblée constituante le 12 septembre 1848 lors de la discussion sur l’adjonction d’un article ouvrant un « droit au travail » au projet de nouvelle constitution, ce discours retentissant demeurait jusqu’à présent enfoui dans la compilation des innombrables interventions du député Tocqueville au sein de ses Œuvres complètes : accompagné de ses éclairantes notes préparatoires, il est pour la première fois l’objet d’une publication spécifique. Ce texte révèle un Tocqueville inattendu, non plus le sociologue et historien mais un acteur profondément engagé dans les affrontements idéologico-politiques consécutifs à la Révolution de 1848 : un orateur et polémiste talentueux aussi peu « académique » et « modéré » que possible, proposant ici un condensé de sa philosophie politique.

C’est une contribution initiale et majeure à un débat de fond qui demeure d’actualité, où Tocqueville expose cursivement les raisons de son opposition tranchée au « droit au travail » et sa logique ; formules choc : son adoption ferait de l’Etat « le grand et unique organisateur du travail », « le maître et possesseur de chaque homme », le « propriétaire unique de chaque chose »… C’est aussi l’occasion de découvrir Tocqueville farouche adversaire du socialisme inspirant un tel droit ; autres formules choc : le socialisme est « une attaque directe contre la propriété et la liberté individuelles », « une nouvelle formule de la servitude humaine ».

Mon passage préféré est le suivant, une belle illustration des talents d’orateur de Tocqueville, dans un élan empli tout à la fois de spontanéité et de maîtrise :

Eh quoi messieurs, tout ce grand mouvement de la révolution française n’aurait abouti qu’à cette société que nous peignent avec délices les socialistes, à cette société réglementée, réglée, compassée, où l’État se charge de tout, où l’individu n’est rien, où la société agglomère en elle-même, résume en elle-même toute la force, toute la vie, où le but assigné à l’homme est uniquement le bien-être, cette société où l’air manque! où la lumière ne pénètre presque plus.

Et plus loin :

Non, messieurs, la démocratie et le socialisme ne sont pas solidaires l’un de l’autre. Ce sont choses non seulement différentes mais contraires. La démocratie donne toute sa valeur possible à chaque homme, le socialisme fait de chaque homme un agent, un instrument, un chiffre. La démocratie et le socialisme ne se tiennent que par un mot, l’égalité ; mais remarquez la différence : la démocratie veut l’égalité dans la liberté, et le socialisme veut l’égalité dans la gène et dans la servitude.

Le texte intégral du discours du 12 septembre 1848 est disponible ici.

Pierre Bessard est journaliste et président de l’Institut libéral suisse de Genève.

Les Belles Lettres, collection [Petite] Bibliothèque classique de la liberté, 13,50 €, 96 pages, ISBN 978-2251390604

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5 réflexions sur “Contre le droit au travail

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  2. Christoph Kohring

    Améliorons Tocqueville:

    « Non, messieurs, [le libéralisme] et le socialisme ne sont pas solidaires l’un de l’autre. Ce sont choses non seulement différentes mais contraires. [Le libéralisme] donne toute sa valeur possible à chaque homme, le socialisme fait de chaque homme un agent, un instrument, un chiffre. [Le libéralisme] et le socialisme ne se tiennent que par un mot, l’égalité ; mais remarquez la différence : [le libéralisme] veut l’égalité dans la liberté, et le socialisme veut l’égalité dans la gène et dans la servitude. »

    Démocratie & socialisme sont tout à fait compatibles. En démocratie toutes les propriétés peuvent être « socialisées » en un seul vote & toutes les libertés sont à la merci des majorités de circonstance.

  3. Ping : Interview avec Copeau, par Grégoire Canlorbe

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