Evidemment, tout a déjà été dit ou presque au sujet de la tragédie de Charlie Hebdo. Il est difficile de sortir de cette gueule de bois et de se poser devant son clavier pour écrire quoi que ce soit de pertinent. Je n’aurai donc pas cette prétention. Je souhaite simplement faire part de quelques réflexions, et vous renvoie par ailleurs et surtout vers le site Contrepoints qui contient de nombreuses références indispensables. Je ne peux bien évidemment que m’associer à la douleur des proches des victimes, et plus généralement de tous ceux pour qui la liberté de la presse est une valeur cardinale, et de tous ceux qui, comme moi, aimaient beaucoup le génie hilarant et provocateur de Charlie.
Ma première remarque, emboîtant le pas à l’ami Patrick Smets, c’est que la liberté d’expression est la mère de toutes les libertés. La liberté de la presse n’en est que sa déclinaison contemporaine. John Milton, Pierre Bayle et d’autres ont montré avec brio qu’aucune liberté ne saurait exister dès lors que la liberté d’expression n’est pas assurée. Seules les dictatures, islamistes ou autres, ne respectent pas la liberté d’expression. Comme l’écrivait Spinoza :
« Il est évident que les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant, qu’elles sont faites moins pour contenir les méchants que pour irriter les plus honnêtes, et qu’elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans grand danger pour l’État»
La liberté d’expression est ce qui distingue un régime libéral d’un autre ; elle est la traduction concrète de la liberté d’opinion, que personne ne peut empêcher, pas même une tyrannie. Mais qui n’est qu’un ensemble vide si n’est pas assurée la liberté d’exprimer ses opinions.
Ma deuxième remarque est exprimée de manière magistrale par Patrick, je me permets donc de le citer longuement :
La liberté d’expression n’est pas seulement un droit individuel. Elle participe aussi à l’enrichissement du débat public et les atteintes à cette liberté réduisent la capacité des gens à réfléchir. Les idées n’apparaissent pas par hasard, mais parce qu’elles semblent porteuses d’une part de vérité pour ceux qui y adhèrent. C’est à travers le débat que cette part de vérité va être appréciée, soupesée, affinée, réinterprétée ou abandonnée. Dans un régime démocratique, les citoyens ont le droit et le devoir d’effectuer individuellement ce travail de réflexion critique. Et si d’aventure émerge une théorie abjecte ou imbécile, il faut encore démonter le mécanisme par lequel elle se pare de l’apparence de la vérité. Il faut montrer en quoi cette théorie est erronée et aider les gens à comprendre ce qui fait la différence entre une idée vraie et une idée fausse.
L’intérêt de la liberté d’expression, c’est que tout idée nouvelle, déviante, originale, à contre-courant, puisse apparaître dans le champ du débat intellectuel. Et cette idée nouvelle peut être stupide comme brillante ; encore faut-il démontrer qu’elle est l’un ou l’autre. Le débat permis par la liberté d’expression permet d’infirmer ou de valider les idées qui apparaissent, et enrichissent ainsi collectivement la société.
Troisième remarque : Au-delà de la seule liberté d’expression, c’est aussi un esprit libertaire qui est mort le 7 janvier dernier. 2015 marque la fin de mai 68. Charlie Hebdo est l’illustration même de l’esprit de libération né des années de plomb du régime gaulliste. Et surtout, le rêve de toute une génération d’un monde plus libre, plus tolérant, quitte à se dresser contre toute coercition de manière « bête et méchante », comme Charlie savait si génialement le faire. En cela, Wolinski, Cabu, Charb et les autres étaient des maîtres et nous devons continuer à nous en inspirer. Personne, aucune dogme, aucune idéologie, aucune idée, ne relève du sacré. Il n’y a aucune exception à cette règle. C’est notre modèle de société qui en dépend.
Quatrième remarque : quelle est la véritable nature de cet attentat ? Est-ce un « simple » crime horrible, comme l’écrit Guy Sorman ? Un acte de fanatiques religieux, qui cherchent à venger le prophète ? Un acte politique, de la part de gens qui refusent la laïcité, la séparation du pouvoir religieux et de la société ? Evidemment, un peu tout cela à la fois. Vraisemblablement un acte religieux, de la part des frères Kouachi, qui cherchent à prolonger en France un djihad déjà éprouvé au Moyen-Orient. N’en déplaise à ceux qui prétendent qu’ils n’ont rien à voir avec les musulmans, c’est bien au nom d’Allah et de Mahomet qu’ils ont tué. Mais il est vrai aussi qu’en s’attaquant à un symbole de la liberté d’expression, et en attaquant la France en son cœur, leur acte est aussi (et surtout) un acte politique. Qui fait écho aussi bien aux appels au meurtre d’occidentaux lancés par Daesh, qu’à la volonté de créer un califat en Irak et en Syrie. Et ne traiter que le volet « terroriste » de cet événement tragique ne résout rien à ce dernier aspect, qui est bien plus complexe à traiter.
La question est d’éradiquer l’islamisme radical partout dans le monde, pas juste chez nous. De forcer l’islam a rentrer dans la seule sphère privée de laquelle il n’aurait jamais dû sortir. A l’heure où j’écris ces lignes, une prise d’otages à lieu dans une imprimerie. J’ai peur pour les otages. Mais encore plus peur pour les victimes de demain des fous d’Allah, si jamais nous ne faisons rien.
Il faudra enfin non pas restreindre nos libertés, mais au contraire les développer encore. C’est la meilleure réponse possible aux islamistes. Il ne faut jamais leur céder, car sinon c’est leur donner raison. Il est étonnant que certains partisans autoproclamés de la liberté d’expression aient une opinion quelque peu différente. Comment peut-on prétendre, comme certains sur Twitter, que Charlie Hebdo l’aurait bien cherché ? Comment des dessins peuvent-ils justifier de tels actes ? Qui peut sérieusement considérer que des dessins sont une provocation insupportable ?
A ces derniers, je dédie donc le dessin suivant.