David Friedman, l’anarcho-capitalisme par la démonstration rationnelle


« Dans l’état socialiste idéal, le pouvoir n’attirera pas les fanatiques du pouvoir. Les gens qui prennent les décisions n’auront pas la moindre tendance à favoriser leurs intérêts personnels. Il n’y aura pas moyen, pour un homme habile, de détourner les institutions pour les mettre au service de ses propres fins. Et on verra les crocodiles voler. »

ImageDavid D. Friedman, né en 1945, est un écrivain libertarien, professeur d’université et promoteur de l’anarcho-capitalisme.

Docteur en physique diplômé de l’université de Chicago, il est davantage connu pour ses travaux d’économie politique. Il a exposé en particulier la théorie anarcho-capitaliste dans son œuvre majeure Vers une société sans État (The Machinery of Freedom).

Il a commencé par enseigner l’économie puis le droit à l’université de Santa Clara, reprenant l’idée d’Hayek selon laquelle il est impossible d’être économiste en se cantonnant à l’économie. Il est issu d’une famille d’intellectuels : son père, Milton Friedman, a reçu le Prix Nobel d’économie, et sa mère est l’économiste Rose Friedman. Son oncle Aaron Director est professeur de droit, tandis que son fils Patri Friedman est également un libertarien connu.

Grand amateur d’histoire, David Friedman fait partie de la Société d’Anachronisme créatif (Society for Creative Anachronism), association qui organise la reproduction de scènes historiques avec plusieurs milliers d’acteurs bénévoles. Il a organisé le plus grand tableau, the Pennsic War. Adepte de la science fiction, il a écrit une nouvelle de fantasy, Harald , publiée en 2006. Friedman est également chroniqueur pour Liberty magazine.

Une approche utilitariste du libéralisme

Alors que la plupart des libertariens adoptent un point de vue déontologique en termes de droit naturel, voire une approche aprioriste comme Rothbard, Friedman est quant à lui utilitariste, et s’attache à montrer que les conséquences de l’anarcho-capitalisme sont bénéfiques pour tout le monde, y compris les pauvres. Sa vision du passage à une société anarcho-capitaliste n’est pas ontologique mais au contraire pragmatique et graduelle : par exemple, il préconise, prolongeant ainsi les travaux de son père, les bons scolaires (education vouchers) comme un prélude à la privatisation du système éducatif, et la décentralisation de la police comme une étape vers une défense totalement privée.

Le droit de propriété est indépassable

Friedman fonde l’essentiel de son argumentation sur le caractère crucial du droit de propriété et de ses implications économiques. Il montre en particulier comment celui-ci est bafoué par les nombreuses politiques menées par la gauche comme par la droite. Il s’attaque notamment aux législations anti-trust, dont il démontre magistralement l’inanité, aux politiques d’aide sociale – qui favorisent surtout les classes moyennes – et, plus généralement, démontre qu’à travers l’appareil d’Etat, tout le monde en vient à voler tout le monde et donc que chacun y perd.

La propriété privée, pour David Friedman, ce n’est pas n’importe quoi. C’est d’abord le droit sur sa propre personne, puis le droit sur sa propre production et, enfin, le droit sur ce qu’on  échange  volontairement  avec les autres.

Sujet très important, et corollaire au droit de propriété, la « question sociale » n’est pas esquivée. Friedman montre de façon très convaincante que tout le monde serait gagnant dans une société libre. Il souligne le fait qu’un des problèmes que nous rencontrons quand nous jugeons les sociétés d’antan est la difficulté de faire la séparation entre les conséquences de la pauvreté et celles des institutions politiques. Ainsi les sociétés américaines et britanniques du XIXe siècle sont souvent décrites comme repoussantes par ceux qui les comparent aux sociétés du XXe siècle. Ce faisant, la plupart des historiens ignorent que nos sociétés contemporaines sont la résultante des progrès des sociétés du siècle précédent.

Un problème similaire existe dans l’analyse du féodalisme. Le féodalisme semble repoussant pour une large partie car les hommes étaient alors beaucoup plus pauvres qu’aujourd’hui. D’un autre côté, le féodalisme fut un système politique décentralisé dans lequel les armées combinées des barons surpassaient l’armée du roi. En plus, ce fut un système dans lequel les frontières – non entre les royaumes mais entre les baronnies – étaient très proches, ainsi les seigneurs locaux devaient tenir compte du fait que s’ils maltraitaient leurs sujets, ces derniers pouvaient s’installer chez le seigneur voisin.

Le passage du féodalisme à la monarchie absolue marqua donc, pour Friedman, une régression – les monarques du XVIe et du XVIIe siècles purent donc davantage opprimer leurs sujets que ne le purent les seigneurs féodaux du XIIIe siècle.

Enfin, il expose des arguments très forts pour prouver que les crises économiques, notamment la grande crise de 1929, sont dues aux interventions intempestives et surtout incompétentes des hommes de l’Etat. Il poursuit et confirme en cela les travaux de Murray Rothbard.

L’anarchie n’est pas le chaos

Friedman entreprend donc de détricoter l’Etat, cette construction monstrueuse qui nous opprime, menace nos libertés, nous rançonne, qui prétend monopoliser l’usage de la violence pour notre propre bien et qui finira par diriger chacun des actes de notre vie si nous le laissons faire. L’Etat qui fait tout pour penser à notre place, ce mythe, cette fiction qui est la principale cause des guerres du XXe siècle.

L’Etat ? Ou plutôt les hommes de l’Etat, car l’Etat comme entité abstraite n’existe pas, alors que les présidents de la république, les gouvernements, les fonctionnaires, les ministres et autres parasites de toutes sortes, eux, existent bien. L’Etat n’existe pas réellement, c’est une fiction légale qui prend sa substance du fait que des hommes collectent des impôts, paient des impôts, font respecter les lois édictées par les gouvernements, obéissent à ces lois.

La société anarcho-capitaliste est possible

Dans son classique Vers une Société sans Etat, David Friedman expose avec clarté et humour sa conception du libertarianisme.

Il démontre non seulement la désirabilité, mais aussi la faisabilité pratique d’une société fonctionnant sans le moindre État, lequel est défini comme une agence de type gouvernementale bénéficiant d’un monopole de la violence légale et parfois de divers autres droits exclusifs.

Dans la deuxième partie de son ouvrage, « La Hotte du père Noël libertarien ou Comment vendre l’Etat par petits morceaux », il donne des exemples pratiques de la théorie libertarienne (enseignement, éducation, routes, immigration, santé, etc.) Il se situe clairement du côté des partisans de l’immigration libre.

Il fournit donc une illustration concrète de ce que serait le démantèlement progressif de l’Etat. Contrairement à ce que l’on croit souvent, il a existé et il existe encore de nombreux « services publics » aux Etats-Unis. David Friedman passe en revue certains d’entre eux et propose de les privatiser. Il commence par les écoles et les universités et poursuit avec les rues, la Poste et le programme spatial.

Il fournit aussi quelques réflexions sur la véritable fonction des réglementations étatiques, la démocratie, etc. « Imaginez cent personnes assises en cercle, écrit-il, chacune ayant sa poche pleine de pièces de un cent. Un politicien marche à l’extérieur du cercle, prenant un cent à chacun. Personne n’y prête attention : qui se soucie d’un cent ? Lorsqu’il a fini le tour du cercle, le politicien jette 50 cents devant une personne, qui est ravie de cette aubaine inattendue. On recommence le processus, en terminant avec une personne différente. Au bout de cent tours, chacun se retrouve plus pauvre de 100 cents ; plus riche de 50 cents, et heureux. »

Friedman présente, enfin, une courte étude sur la société islandaise médiévale qui, telle l’Irlande décrite par Rothbard – connut une période libertarienne.

La police et la juste privées

Friedman décrit les institutions qui seraient viables dans un cadre libertarien. Il détaille longuement le cas de la sécurité et de la justice, pour illustrer le changement de perspective auquel il faut parvenir pour constituer une société anarcho-capitaliste. Comment assurer sa sécurité, faire appel à la justice et définir le droit dans une société libre ? Par le marché et la concurrence, répond-il, toujours dans le respect de la propriété privée légitime bien sûr.

Si des boulangeries privées et concurrentes produisent un pain en général d’excellente qualité, pourquoi des entreprises privées et concurrentes de protection individuelle ne produiraient-elles pas une sécurité d’excellente qualité et pourquoi des tribunaux privés et concurrents ne produiraient-ils pas un droit d’excellente qualité ? Comment, sans gouvernement, pourrions-nous régler les conflits qui sont actuellement réglés dans les tribunaux ? Comment pourrions-nous alors nous protéger contre les criminels ?

Considérons d’abord, dit Friedman, le cas le plus facile, la résolution des conflits impliquant des contrats entre des sociétés bien établies. Une grande partie de tels litiges sont maintenant réglés non pas par des tribunaux d’Etat mais par l’arbitrage privé. Les sociétés, quand elles élaborent un contrat, indiquent la procédure d’arbitrage pour n’importe quel conflit qui peut surgir. Ainsi elles évitent les dépenses et les délais de la justice.

 

L’arbitre n’a aucune force de police. Sa fonction est de rendre des décisions, pas de les faire respecter. Les décisions arbitrées sont habituellement exécutoires, mais c’est un développement récent ; historiquement, l’exécution venait du désir d’une entreprise de maintenir sa réputation. Si on refuse le jugement d’un arbitre, il est difficile de persuader quelqu’un de signer un contrat qui indique un arbitrage ; personne ne veut jouer au jeu de « pile tu gagnes, face je perds ».

L’arbitrage, par lui-même, ne fournit aucune solution pour la personne dont la voiture est abîmée par un conducteur négligent, encore moins pour la victime d’un vol ; dans les deux cas, le plaignant et le défendeur, ayant des intérêts différents et aucun accord préalable, sont peu susceptibles de trouver un arbitre qui leur convienne mutuellement. Le défendeur n’a aucune raison d’accepter un arbitrage quel qu’il soit ; il a tout à y perdre – ce qui nous amène au problème d’empêcher la coercition.

Or, la protection contre la coercition est un bien économique. Elle est actuellement vendue dans une variété de formes – gardiennage, serrures, alarmes. Pendant que l’efficacité de la police étatique diminue, le marché fournit des produits de remplacement pour la police, comme pour les tribunaux.

Supposons, poursuit David Friedman, qu’un jour il n’y ait plus aucune police étatique, mais des agences de protection privées à la place. Ces agences vendent un service qui consiste à protéger leurs clients contre le crime. Peut-être vont-elles jusqu’à offrir une garantie de résultats en assurant leurs clients contre des pertes résultant d’actes criminels.

Comment de telles agences de protection pourraient-elles nous protéger ? Ce serait sur la base d’une décision économique, selon les coûts et l’efficacité des différentes solutions possibles. A une extrémité, elles pourraient se limiter à la défense passive, installant des serrures et des alarmes sophistiquées. Ou bien elles ne prendraient aucune mesure préventive, mais feraient de grands efforts pour retrouver les criminels coupables de délits contre leurs clients. Elles pourraient maintenir des patrouilles ou les voitures en faction, comme la police étatique actuelle, ou elles pourraient se reposer sur des substituts électroniques. De toute façon, elles vendraient un service à leurs clients, et auraient une incitation véritable à fournir une qualité de service aussi élevée que possible, au coût le plus bas. Il est raisonnable de supposer, dit Friedman, que la qualité de service serait plus élevée et le coût plus bas qu’avec le système étatique actuel.

Qui ferait les lois ? Sur quelle base l’arbitre privé déciderait-il quels actes sont criminels et comment ils devraient être punis ? La réponse est que des systèmes juridiques seraient produits dans le commerce sur le marché libre, exactement comme des livres et des soutiens-gorge sont produits aujourd’hui. Il pourrait y avoir concurrence parmi différentes marques juridiques, juste comme il y a concurrence entre différentes marques de voitures.

Dans une telle société il pourrait y avoir beaucoup de tribunaux et même beaucoup de systèmes légaux. Chaque paire d’agences de protection convient à l’avance quel tribunal elles invoqueront en cas de conflit. Ainsi les lois en vertu desquelles sera traité un cas particulier seront déterminées implicitement par l’accord anticipé entre les agences de protection des clients concernés. En principe, il pourrait y avoir un tribunal différent et un système de lois différent pour chaque paire d’agences de protection. Dans la pratique, beaucoup d’agences trouveront probablement commode de traiter avec les mêmes tribunaux, et beaucoup de tribunaux pourraient trouver commode d’adopter des législations identiques ou presque identiques, afin de simplifier les affaires avec leurs clients.

Avant de qualifier d’injuste ou de chaotique une société dans laquelle différentes personnes sont régies par différentes lois, rappelez-vous, poursuit Friedman, que dans notre société la loi en vertu de laquelle vous êtes jugés dépend du pays et même de la ville dans laquelle vous vous trouvez. Dans le cadre des arrangements décrits ici, elle dépend de votre agence de protection et de l’agence de la personne que vous accusez ou qui vous accuse.

Dans une société anarcho-capitaliste, la loi est donc un produit du marché. Un tribunal vit de la facturation des services d’arbitrage qu’il rend. Son succès dépendra de la réputation qu’il obtiendra du point de vue de l’honnêteté, de la fiabilité, de la promptitude et de l’attrait auprès des clients potentiels de l’ensemble des lois qu’il applique. Les clients immédiats sont les agences de protection. Mais une agence de protection elle-même vend un produit à ses clients. Dans ce produit entrera le ou les systèmes juridiques des tribunaux dont elle est cliente, et sous lesquels ses clients seront par conséquent jugés. Chaque agence de protection essayera d’entrer en affaires avec les tribunaux dont le système juridique plaira le plus à ses clients.

S’il advient que les clients des deux agences soient aussi acharnés les uns que les autres, peut-être deux tribunaux seront choisis, un de chaque sorte, et les procès assignés aléatoirement entre eux. De toute façon, la préférence juridique du client, son avis quant au type de loi auquel il entend se soumettre, aura été un facteur important pour déterminer le type de loi qui le régit. Cela ne peut complètement contribuer à le déterminer, puisque accusé et accusateur doivent avoir la même loi.

Les différences entre les tribunaux seraient probablement plus subtiles. Les gens constateraient que les décisions d’un tribunal sont plus promptes ou plus prévisibles que celles des autres, ou que les clients d’une agence de protection sont mieux protégés que ceux des autres. Les agences de protection, essayant d’établir leur propre réputation, rechercheraient les « meilleurs » tribunaux.

Plusieurs objections peuvent être formulées contre un tel marché libre de la justice. Le premier est que les tribunaux rendraient la justice en décidant en faveur de celui qui paie le plus. Ce serait suicidaire ; sans une réputation d’honnêteté, ils n’auraient aucun client – à la différence de nos tribunaux actuels.

Une autre objection est que c’est le travail des tribunaux et de la législation de découvrir les lois, et pas de les créer ; il ne peut pas y avoir en concurrence deux lois de la pesanteur, aussi pourquoi devrait-il y avoir en concurrence deux lois sur la propriété ? Mais il peut y avoir deux théories en concurrence au sujet de la loi de la pesanteur ou de la définition des droits de propriété. La découverte est une activité aussi productive que la création. S’il est évident de déterminer une législation correcte, ou quelles règles sociales découlent de la nature de l’homme, alors tous les tribunaux s’entendront, de même que tous les architectes s’accordent quant aux lois de la physique. Si ce n’est pas évident, le marché engendrera la recherche destinée à découvrir des législations correctes.

Une autre objection est que dans une société avec beaucoup de systèmes juridiques on ne s’y retrouverait plus. Si cela s’avère être un problème sérieux, les tribunaux auront une incitation économique à adopter une législation uniforme, exactement comme les papeteries ont une incitation à produire du papier avec des tailles normalisées. Une nouvelle législation sera présentée seulement quand l’innovateur croira que ses avantages sont supérieurs à ceux de l’uniformité.

L’objection la plus sérieuse à la législation de libre marché est que le plaignant et le défendeur peuvent ne pas se mettre d’accord sur un tribunal commun. Évidemment, un meurtrier préférerait un juge clément. Si le ttribunal était choisi réellement par les parties après que le crime s’est produit, cela pourrait constituer une difficulté insurmontable. Dans le cadre des arrangements que j’ai décrits, le tribunal est choisi à l’avance par les agences de protection. On aurait du mal à trouver à un instant donné un nombre de meurtriers suffisant pour faire vivre leur propre agence de protection, une qui serait affiliée à des tribunaux qui ne considèreraient pas le meurtre comme un crime. Et même si c’était le cas, aucune autre agence n’accepterait de tels tribunaux. L’agence des meurtriers accepterait un tribunal raisonnable ou bien serait engagée dans une guerre désespérée contre le reste de la société.

Jusqu’à ce qu’il soit réellement accusé d’un crime, chacun veut des lois qui le protègent contre le crime et le laissent interagir paisiblement et productivement avec autrui. Même les criminels sont ainsi. Peu de meurtriers souhaiteraient vivre sous une législation qui leur permettrait de tuer – et aussi d’être tué.

Un livre de synthèse : David Friedman, Vers une société sans Etat, 1971, 1973, 1989 : Ce livre appelle à une privatisation de toutes les fonctions gouvernementales, en fournissant de nombreux exemples, et explore ainsi les conséquences de la pensée libertarienne, telles que l’histoire de l’Islande, et explique les raisons personnelles de l’auteur visant à défendre la pensée libertarienne.

Des chapitres portent sur la privatisation de la loi et de la police, et sur la fourniture de biens publics (tels que la défense nationale ou les routes) en société libertarienne. L’approche de Friedman est typiquement anarcho-capitaliste. Il y énonce en particulier une « loi » selon laquelle tout ce que fait le gouvernement coûte au moins deux fois plus cher que ce que coûterait l’équivalent dans le privé. Il illustre cette loi par plusieurs exemples, tels que le service des Postes.

Ce qui est passionnant dans ce livre, c’est que l’auteur est toujours tourné vers le concret. Peu de grands principes ici mais une foule de réflexions sur ce que serait la vie réelle dans une société libertarienne. Aucune question difficile n’est esquivée, l’auteur n’hésite pas à faire part de ses interrogations et même parfois de ses doutes (sur la défense nationale par exemple), d’où un sentiment de grande honnêteté intellectuelle et une approche des problèmes des plus stimulante.

« Ne demandez pas ce que l’Etat peut faire pour vous. Demandez ce que les hommes de l’Etat sont en train de vous faire ».

Bibliographie sélective

David Friedman, 1971, Vers une société sans Etat (nouvelles éditions en 1973 et 1989)
David Friedman, 1977, « A Theory of the Size and Shape of Nations », Journal of Political Economy 85, dans lequel il expose les limites de l’accroissement de la taille d’une nation en raison du désir de l’État de maximiser ses recettes fiscales
David Friedman, 1980, « Many, Few, One – Social Harmony and the Shrunken Choice Set », American Economic Review, vol. 70, no. 1 (mars), pp 225-232
David Friedman, 1980, « In Defense of Thomas Aquinas and the Just Price », History of Political Economy, 12
David Friedman, 1994, « Law as a Private Good: A Response to Tyler Cowen on the Economics of Anarchy », Economics and Philosophy, vol 10, pp 319–27
David Friedman, 1996, Hidden Order: The Economics of Everyday Life
Fabio Massimo Nicosia, 1997, « David Friedman, realista giuridico libertario », In: Fabio Massimo Nicosia, dir., Il diritto di essere liberi. Per una teoria libertaria della secessione, della proprietà e dell’ordine giuridico, Treviglio, Leonardo Facco Editore, pp 88-97
David Friedman, 2000, Law’s Order – What Economics Has to Do with Law and Why It Matters, Princeton, Princeton University Press
David Friedman, 2006, « Private Creation and Enforcement of Law: A Historical Case », In: Edward P. Stringham, Dir., Anarchy and the Law. The Political Economy of Choice, Ch 36, Cheltenham UK: Edward Elgar
David Friedman, 2008, Future Imperfect: Technology and Freedom in an Uncertain World

La reine dans le palais des courants d’air – Millenium 3


stieg-larsson-millenium-31221207873Voici enfin pour moi le moment venu de vous parler du troisième tome de Millenium, intitulé La Reine dans le palais des courants d’air. Comme vous le savez, j’ai déjà chroniqué les deux premiers volumes de la trilogie de Stieg Larsson ici et ici.

Je ne vais pas vous raconter en détail l’intrigue de ce troisième et dernier volume, ce serait profondément impoli de ma part. Je n’ai pas l’intention de déflorer le suspense, sinon en vous indiquant qu’il y a une nette montée en puissance des acteurs et des situations, un peu à la manière du Seigneur des anneaux, si j’ose dire.

Je vais tout de même brosser un rapide état des lieux du contexte d’ouverture de ce tome 3. Si dans le tome précédent, Lisbeth Salander, autiste goth, marginale et hackeuse géniale, était au coeur de l’action, parvenant même à presque éclipser notre ami le journaliste de Millenium Mickael Blomkvist, nous retrouvons dans ces scènes finales un équilibre plus proche du tome 1, où c’est bien le pisse-bleu et non la suicide girl qui mène la danse. On avait laissé cette dernière presque morte, au fond d’un trou d’une maison de campagne isolée. Elle sera en convalescence pendant une grande partie de ce troisième épisode. Pendant ce temps, fort long, Mickael, assisté de tous ses alliés et amis, va tenter d’aider celle que personne n’a jamais aidé, sans même qu’elle le sache vraiment, Lisbeth.

Vous me direz, et à juste titre, mis à part un médecin, un chirurgien, personne ne peut véritablement aider quelqu’un à réussir sa convalescence, autisme ou pas. Vous aurez bien évidemment raison en théorie, mais Lisbeth est vraiment quelqu’un de spécial. Pas seulement à cause de son caractère unique et souvent détestable, mais aussi par son histoire, son passé, et la qualité des gens qui lui veulent du mal.

Lisbeth a des ennemis, nombreux, déterminés, et surtout extrêmement puissants. Ils se terrent peut-être dans l’ombre, mais leur pouvoir de nuisance surpasse des forces que personne ne pourrait imaginer. Blomkvist ne sait pas vraiment à quel morceau il s’affonte ; il va vite l’apprendre, à ses dépends…

Ce troisième et dernier tome clot en apothéose cette histoire, même si le tome 1 forme presque un tout, tandis que les tomes 2 et 3 sont indissociables. En cela, le déséquilibre de l’histoire me rappelle celui de la première odysée de Star Wars. Outre les observations déjà formulées pour les opus précédents, qui restent vraies, je soulignerai juste que Larsson, de mon point de vue, sombre un peu dans le grandiloquent et le grand-guignolesque, et a peut-être poussé un peu loin le bouchon de l’intrigue. D’autres me répondront bien sûr que la fin de l’histoire coiffe d’une couronne étincelante l’ensemble du récit. Je vous laisse seuls juges à l’issue des quelques 2000 pages des trois volumes.

Rien n’enlèvera au demeurant le fait que c’est une excellente série. Je remercie une dernière fois Olivier de me l’avoir conseillée.

Millenium 2 – La fille qui rêvait d’un bidon d’essence… et d’une alumette


millenium-2Voici déjà un bon moment que j’ai lu le tome II de Millénium, ou plutôt des aventures de Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist, la première autiste hackeuse sous curatelle, le second journaliste d’investigation co-directeur d’une revue bobo quoique de grande qualité à Stockholm.

J’avais omis de vous parler de ce deuxième bouquin, par manque de temps et certainement pas par manque d’envie. En effet, ce nouveau volet de la saga Millénium (en attendant le troisième et dernier avatar, qui sortira à la rentrée) est largement à la hauteur du premier. L’intrigue de ce polar nordique se focalise plus sur le rôle de Lisbeth, et moins sur celui de Mikael.

L’histoire débute là où Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes s’arrêtait. Blomkvist triompha avec panache à la fois d’un maniaque sexuel maquillé en capitaine d’industrie, et d’un financier véreux aux méthodes particulièrement douteuses. Il triompha, certes, mais ne tira tout de même pas aussi bien son épingle du jeu que Lisbeth, qui, du haut de ses innombrables talents numériques, rafla la mise, au sens propre comme au figuré. Après s’être mise au vert quelques temps, Lisbeth est de retour en Suède, vit encore plus cachée qu’auparavant, et rien ne semble pouvoir troubler sa quiétude en Powerbook, sinon une copine de temps en temps pour satisfaire ses légitimes désirs lesbiens.

Mikael a retrouvé sa place au sein de Millénium, lui qui a été malmené précédemment par une enquête bâclée qui lui a coûté sa place. Il projette, avec deux collaborateurs free-lance en appui, de sortir un numéro spécial consacré aux méthodes esclavagistes employées par des proxénètes venus de Russie ou de pas loin, à l’encontre de jeunes femmes naïves venues gagner leur croute en Occident. Vous pointez ici du doigt, fidèles lecteurs, la principale faiblesse de cet opus : le thème central, très féministe, n’est pas très différent de celui de Millénium I, ce qui est très dommage et signe d’un manque de renouvellement flagrant de la part de Stieg Larsson.

Je ne veux pas vous dévoiler plus avant l’intrigue, ce serait fort peu urbain de ma part, et probablement vain, dans la mesure où je vous fais confiance pour vous faire votre propre opinion au sujet de ce roman d’excellente facture et haletant. Je me bornerai à dire que Lisbeth est décidément pleine de ressources, et que nous ne sommes sans doute pas encore au bout de nos surprises la concernant. Son passé, son présent et son futur restent au mieux troubles, au pire obscurs.

Ce bouquin-là est à la hauteur du premier, je l’ai dit, et incarne tout autant que celui-ci la nouvelle vague du roman policier suédois. Tout comme le commissaire Wallander d’Henning Mankell, dont j’ai déjà si souvent parlé (je fais ici une piqure de rappel, car je me rends bien compte que tous les lecteurs de ce blog ne sont pas des réguliers, loin de là). Je ne prétends pas que Larsson fasse ici preuve de grande crédibilité, dans la mesure où Lisbeth la punkette gothique est si caricaturale qu’on a du mal à imaginer un seul instant qu’elle puisse avoir la moindre existence réelle, ce qui est pourtant le ressort de base de tout roman. C’est tout aussi vrai pour Blomkvist, qui est encore, comme je l’écrivais dans le billet précédent, le double de Larsson, son prolongement fantasmatique, tellement parfait et gentil qu’il en devient parfaitement lassant.

Si le trait qui dessine les personnages est grossier, le déroulé de l’histoire est haletant et extrêmement bien pensé, c’est le premier pilier de l’œuvre de l’auteur. Le second pilier réside, quant à lui, dans l’état d’esprit qui se dégage des romans de Larsson. Un état d’esprit joyeusement libertaire, à l’amour libre assumé, à l’homosexualité latente, au contournement des autorités stériles ou collabos. On se croirait retourné dans un film du début des années soixante-dix, et c’est, je crois, ce qui me plaît le plus chez Larsson. C’est ce qui le rend si joyeusement sympathique.

Kurt Wallander ou l’inertie au service du mouvement


J’accueille sur ce blog un billet rédigé par mon ami Olivier, et consacré à l’oeuvre de Henning Mankell, auteur suédois dont je vous ai déjà parlé ici à plusieurs reprises.  Je le remercie et vous souhaite au passage une bonne lecture de cet excellent texte.

Voici donc un billet sur la série des Kurt Wallander. Je m’efforcerai de parler de la psychologie du personnage plutôt que d’éplucher chacun des romans, je vous laisse les découvrir au gré de vos envies.

C’est à croire que plus on se rapproche du grand nord, plus l’activité artistique y est féconde et bouillonnante, à l’image des geysers d’Islande, les talents jaillissent régulièrement. Pour ne citer que les plus connus nous trouvons Bjork, Nils Petter Molvaer, Eivind Aarset, Danielsson, pour la musique, Larsson, Edwardson, Joensuu pour les écrivains « noirs ». ( cette liste étant totalement arbitraire et subjective bien sûr !)

Les neuf romans qui composent la saga de Kurt Wallander trahissent tous à leur manière les inquiétudes qui assaillent Henning Mankell. La société suédoise et plus largement l’Europe s’est peu à peu modifiée, les frontières se sont ouvertes, les murs sont tombés, la monnaie s’unifie, les langues s’anglicisent. Comment s’adapter à cette nouvelle donne géo-politico-économico sociologique ? La saga Wallander pourrait tout aussi bien se sous-titrer, « l’inertie au service du mouvement » Je m’explique.

Wallander ne comprend pas le monde qui se construit sous ses yeux. La criminalité, les mœurs, la politique, les enfants, tout se métamorphose sans qu’il ne se sente concerné par ce changement. Le monde poursuit un cycle de dilatation et de rétrécissement de plus en plus rapide et incohérent. Le mur de Berlin s’écroule, chacun y va de son couplet en faveur des libertés retrouvées. Quelques années plus tard, les murs fleurissent à nouveau, en Israël, aux états unis, bientôt au sud de l’Europe. Le flux et le reflux idéologique casse puis reconstruit pour défaire à nouveau.

Wallander c’est la contradiction de l’inertie au service de l’action. Il est souvent prit de court, tétanisé par la violence qui se mue rapidement en comportement banalisé. Kurt est un arrêt sur image perpétuel, il s’immobilise, lutte, refuse, tergiverse, fait marche arrière. Ce côté quasi minéral du héros de Mankell sert tout aussi bien la narration que la perspective sociologique sous-jacente, lui donne force et rapidité.

Le polar est le style littéraire par excellence lorsqu’il s’agit de décortiquer au scalpel les dérives d’une société. Mankell s’emploie, en bon chirurgien, roman après roman, avec plus ou moins de succès d’ailleurs, à brosser un état des lieux de la Suède. Il y arrive brillamment, même si son analyse dérive trop souvent dans les marécages de la nostalgie.

Kurt Wallander est un personnage attachant, lucide, scrupuleux, fainéant, malheureux en amour mais il ne joue pas, comme quoi les dictons …Il voudrait faire du sport, acheter une maison ,un chien, se marier, renouer les liens distendus avec son ex femme, comprendre sa fille, trouver une place dans un pays qui se transforme trop vite pour lui. C’est sur ce dernier point que Mankell tourne en rond, à mon grand regret. Le stéréotype du flic qui refuse de s’adapter lorsque tout change autour de lui est une ficelle un peu courte pour un écrivain de son talent, mais bon, passons…

Je ne saurai trop vous conseiller de lire les romans de Mankell dans l’ordre chronologique. Il n’y a pas de liens entre les romans, cependant le héros évolue tout en gardant les trames des épisodes précédents. Voici pour commencer la liste des romans, du premier au dernier.

Meurtriers sans visage,

Les chiens de Riga

La lionne blanche

L’homme qui souriait

Le guerrier solitaire

La cinquième femme

Les morts de la Saint-Jean

La muraille invisible

Avant le gel

Mise à part Wallander, le personnage récurrent de la série est sans aucun doute Rydberg, le vieux flic, sage et mesuré, qui apparaît dans « Meurtriers sans visage ». Il meurt à la fin de ce premier opus mais continuera, enquête après enquête, à hanter la mémoire de Kurt, à tel point qu’il devient un double métaphysique, la personne qui se tient de l’autre côté du miroir, qui connaît la vérité ou du moins l’entrevoit. Wallander y fait souvent référence, lui demande conseil, s’interroge sur l’attitude qu’aurait adopté Rydberg face à telle ou telle énigme. L’osmose entre les deux personnages est telle, que peu à peu, Wallander se mue en Rydberg, clonage inéluctable du à son penchant récurrent pour le passé.

Le second personnage clé pour comprendre Wallander est celui de Baïba Leipa, la belle Lettonne, avec qui il entretiendra une relation tumultueuse, voire chaotique, à partir des chiens de Riga. Baïba est le symbole de l’auto castration qu’il s’inflige en permanence. Wallander est réfractaire à toute idée de changement ou de compromission, dans son travail et dans sa vie privée. Former un couple nécessite des compromis, chose qu’il est incapable d’envisager, malgré l’amour ( mais est-ce vraiment de l’amour ?) qu’il a pour cette femme.

Pour comprendre Kurt, il faut s’attacher aux personnages qui l’entourent, ce sont finalement eux qui parviennent à dresser un profil psychologique du héros. Citons Sten Widen, son camarade de jeunesse, éleveur de chevaux alcoolique, Ebba, la réceptionniste du commissariat, un de ces personnages périphériques qui ont une importance cruciale dans le récit, Björk, le supérieur de Wallander, soucieux de l’image de la police, il fait deux pas en arrière quand Wallander en fait un en avant, Linda, sa fille, un ovni selon lui, elle est le symbole de son incompréhension, surtout lorsque cette dernière lui annonce dans la muraille invisible qu’elle veut à son tour devenir flic.

Ses collègues de travail sont les personnes qu’il côtoie le plus, cependant, il ignore tout de leur vie, la preuve en est, lorsque Svedberg est assassiné, il découvre qu’il cachait son homosexualité tout autant que son admiration pour lui. La mort est le seul lien qui lie Wallander à ses proches et au reste du monde.

Chacun de ces personnages définit un trait de caractère de Wallander. Widen pour la nostalgie des occasions manquées, il voulait être son impresario et le propulser comme chanteur d’opéra, Ebba représente le côté maternel, la femme qui comprend, s’inquiète et s’occupe de lui trouver une chemise propre, Björk, son opposé, pour son refus de transiger avec les journalistes, les notables et la hiérarchie, Linda et son incapacité à s’intégrer au changement. Si Baïba est éros, Rydberg est sans aucun doute Thanatos, une voix d’outre tombe, un point d’ancrage, une façon de s’accrocher à ce qui lui reste du passé. C’est précisément là que se trouve ma principale critique, Wallander est trop passéiste, Mankell se complaisant dans une critique de la société suédoise sans apporter un contre modèle crédible. Wallander voyage peu, la Lettonie pour les chiens de Riga, un voyage aux Caraïbes entre la lionne blanche et l’homme qui souriait, l’Italie avec son père. Son approche de l’extérieur, de l’autre, celui qui ne parle pas sa langue et ne partage pas ses coutumes est motivée, soit par le travail ( Riga) soit par la volonté de tout oublier ( les Caraïbes) contre voyage par excellence, soit le désir de se faire accepter par son père (l’Italie). Wallander est suédois et le restera jusqu’au bout, le mondialisme est une bestiole étrange qu’il regarde de loin, sans prendre la peine de la comprendre.

Chacune des énigmes des neufs romans est un modèle de construction. Wallander s’y montre d’une lucidité peu commune, se fiant à son instinct, remettant systématiquement en cause ses analyses, ses conclusions, acceptant les critiques de ses camarades de travail. Il doute de ses capacités, c’est sa principale qualité, cette déconstruction cartésienne qui lui permet de renouer les fils invisibles de l’enquête.

D’un point de vue stylistique, Mankell fait un sans faute, il faut le reconnaître. Ses intros sont percutantes, souvent très éloignées géographiquement d’Ystad ( l’Afrique du sud pour la lionne blanche, l’Algérie , la cinquième femme, la république dominicaine, le guerrier solitaire ) . Les énigmes contiennent cette part de crédibilité qui embarque le lecteur très rapidement, les personnages sont précis, affûtés, un vrai travail d’orfèvrerie littéraire si je puis dire. Un seul bémol cependant, Avant le gel, est, à mes yeux, le plus médiocre de la série, Mankell s’embourbant dans le personnage de Lisa comme une twingo dans un chemin de montagne. Mise à part cet opus, le reste de la série est fabuleuse, notamment « la muraille invisible » qui reste, de loin, mon préféré. A noter aussi l’épisode sans véritable intérêt de L’homme qui souriait .

Les chiens de Riga est une plongée claustrophobe dans une Lettonie verrouillée, cadenassée par l’union soviétique, La lionne blanche et ce mystérieux doigt noir retrouvé dans les décombres d’une maison, les scènes macabres des morts de la Saint Jean, les vieillards mutilés de « meurtriers sans visage », tous les romans de Mankell ont cette indéniable force narrative, sans jamais tomber dans le gore ou la sur-exploitation de la violence.

La violence est présente, c’est une nécessité, mais elle ne se trouve pas là où on l’attend. La véritable violence se trouve dans ce rapport conflictuel qu’entretient Wallander avec un monde qui perd ses fondamentaux sociologiques, moraux, intellectuels. La cruauté des crimes trouve son échos dans le malaise du commissaire Wallander, seul, divorcé, flic, amateur d’opéra.

Le fil conducteur des romans de Mankell est la solitude et la mort, son frère de sang. Wallander crèvera comme Rydberg, seul, flic en retraite, rongé par la nostalgie, l’incompréhension et les remords, il crèvera une fin d’après-midi venteuse, glaciale, en regardant la lumière vacillante du réverbère, assis derrière la fenêtre de sa cuisine, en écoutant un opéra de Verdi.

Je ne résiste pas à l’envie toute égocentrique, je le reconnais, de classer les neuf épisodes par ordre décroissant d’intérêt.

La muraille invisible

Les morts de la Saint-Jean

La lionne blanche

Les chiens de Riga

La cinquième femme

Meurtriers sans visage

Le guerrier solitaire

L’homme qui souriait

Avant le gel

A noter enfin la sortie en poche du retour du professeur de danse, nouvel opus de Mankell, mais sans Kurt Wallander.

Millenium 1 – Les hommes qui n’aimaient pas les femmes


 

millenium1204676782Voici un long moment que je n’ai donné signe de vie ici. Je vous prie, fidèles quoique clairsemés lecteurs, de m’en excuser. Olivier nous a conseillé, il y a peu, un polar intitulé Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes, du Suédois Stig Larsson. Comme j’écrivais par ailleurs tout le bien que je pensais, en général, du désormais célèbre Henning Mankell (voir là et ), il me fallait donc de toute évidence et avec célérité me pencher sur cet auteur que je connaissais pas, tant je ne doutais pas un seul instant des goûts et des conseils de l’excellent Olivier.

Evidemment, j’ai été parfaitement satisfait par la qualité, tout bonnement excellente, de ce premier volet d’une trilogie baptisée Millénium, du nom de la revue que publient, à Stockholm, deux des principaux protagonistes et néanmoins amants, Mikael Blomkvist et Erika, la directrice du journal.

Sans vouloir vous dévoiler l’intrigue, je vous conseille de vous jeter sur ce bouquin sitôt que vous le trouverez. Larsson a un sens inné de la narration, de l’agilité imaginative, du tempo, du style. J’adore cet air de ne pas y toucher, qui débute comme une histoire de magouilles diligentées par d’obscurs capitaines d’industrie, qui, par le détour d’un vieil industriel sénile, obsédé par la mort de sa nièce dans les années soixante, vient à prendre une toute autre dimension. Du grand art.

Ce bouquin, certes, respire le politiquement correct, c’est un peu bobo-féministe, mais ça n’enlève rien à sa qualité, au contraire je dirais, ça lui donne une coloration particulière et non filandreuse. D’autant qu’il y a en réalité dans ce polar non pas une mais au moins deux intrigues, celle que je viens de citer, et la vie obscure et déjantée d’une freak piercée et tatouée, au look goth-grunge assumé du haut de son anorexie, sous curatelle et pourtant géniale, répondant au doux nom de Lisbeth Salander. La conjonction de l’érotomane pisse-bleu et de la junkie numérique formera un cocktail détonant.

A lire, ou plutôt à dévorer très vite. Je chroniquerai sans doute très bientôt le tome 2, La Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une alumette. Et peut-être aussi le tome 3, le dernier, puisque Larsson a eu la très mauvaise idée de disparaître soudainement à peine son manuscrit arrivé chez son éditeur.

Les Chiens de Riga


9782020638937fsJe voudrais vous parler brièvement d’un roman de Mankell qui s’intitule Les Chiens de Riga. Il s’agit bien sûr d’un épisode des aventures du désormais célèbre (au moins sur ce blog) commissaire Wallander. Mais ce roman a la particularité de se dérouler ailleurs qu’en Suède, et c’est, je crois bien, le seul de Mankell à subir un tel sort. Plus exactement, l’histoire débute en Scanie, donc en Suède, par la mystérieuse découverte d’un canot pneumatique échoué sur les côtes, avec à son bord deux macchabées trentenaires, sapés en Kenzo, et d’apparence étrangère. Nous sommes début 1989.

Les flics d’Ystad, dirigés pour l’enquête par Wallander, ne tarderont en effet pas à découvrir l’origine lettone des deux types, deux dealers yuppies de la mafia russe implantée dans les pays baltes. Tout semble donc correspondre à un parfait règlement de compte.

Pourtant, la police lettone choisit de dépêcher un commandant, Karlis Liepa, en Suède, pour prêter main forte aux policiers locaux dans l’élucidation de ce mystère. Tous feront choux blancs, si bien que le commandant Liepa retournera bien vite au pays.

Sitôt sorti de l’avion de l’Aeroflot ou presque, on le liquide. Etrange, non ?

Wallander est sollicité, à son tour, pour renforcer la police lettone dans l’élucidation de ce meurtre. Le meurtre d’un flic dans un pays communiste, c’est la peine de mort assurée.

C’est du moins le motif officiel avancé par le gouvernement letton. Sur place, il découvrira progressivement que la réalité est un peu différente…

Par ailleurs, Wallander subit un formidable choc des cultures, et ne comprend pas grand-chose au monde si particulier et plein d’espièglerie des pays communistes. Il en fera d’ailleurs les frais assez rapidement.

Je vous conseille vivement ce roman, rien moins que l’un des meilleurs de Mankell, et sans nul doute le plus original. Il fait partie de son top five sans forcer. Je vous souhaite donc une excellente lecture.

Avant le gel


 

275780084101_aa_scmzzzzzzz_Poursuivons, si vous en êtes d’accord, notre étude des romans de Mankell. Voici l’un des plus récents, intitulé Avant le gel, et qui, pour la première fois, met en scène la fille du commissaire Wallander, Linda, plutôt que le héros récurrent lui-même.

Lisons le quatrième de couverture, qui en général résume mieux que je pourrai le faire l’intrigue : des animaux immolés par le feu, la tête et les mains d’une femme gisant près d’une bible aux pages griffonnées… Le commissaire Wallander est inquiet. Ces actes seraient-ils un prélude à des sacrifices humains de plus vaste envergure ? La propre fille de Wallander, impatiente d’entrer dans la police, se lance dans une enquête parallèle. Entraînée vers une secte fanatique résolue à punir le monde de ses péchés, elle va rapidement le regretter.

Mankell innove ici, en incluant dans l’intrigue la propre fille de Wallander, qui, de tapissière, a finalement choisi de rejoindre les rangs de la police suédoise, affectée qui plus est à Ystad, en Scanie, à l’extrémité sud du pays, région frontalière du Danemark. Bref, là où officie son père. Linda va mener une enquête parallèle, partant à la recherche de sa meilleure amie, Anna Westin, qui, étrangement, a disparu du jour au lendemain. A plusieurs reprises, notamment lorsqu’elle prend connaissance du journal intime de son amie, Linda trouve des indices qui, étrangement, recoupent pour partie le meutre sauvage d’une femme amoureuse de l’histoire des chemins suédois. Elle croise aussi des hurluberlus fanatisés par un gourou sectaire, mais qui, de prime abord, ne semblent pas bien méchants.

L’innovation majeure de Mankell, plus que l’entrée d’un nouveau personnage, qui anticipe la suite, c’est la double enquête du père et de la fille. Chacun de son côté va suivre ses intuitions, ne pas donner la totalité des informations à l’autre, tomber dans des embûches diverses, au final ne pas se faire entièrement confiance. Ce rapport père-fille sonne vrai, mélange d’amour et de révulsion, d’autorité paternelle et de rébellion juvénile. C’est cela la qualité premère de ce roman.

Par ailleurs, je dirai presque comme toujours, Mankell sait rendre comme personne l’atmosphère sombre, froide, pastorale et lente de la Suède profonde. Le tout au service d’une intrigue aux multiples rebondissements, l’une des plus charpentées de Mankell. On plonge dans le monde des sectes, des religions en carton-pâte, du sadisme envers les animaux et les hommes. Mankell nous expose, une fois de plus, les faiblesses de l’âme et de la condition humaine. Un excellent roman. A la différence de ma précédente chronique, je vous le conseille donc, celui-là.