Vous savez que la “commission Balladur” rendra son rapport au président de la République demain. Vous savez aussi, sans doute, que ledit rapport a bien peu de chances de donner lieu à des mesures concrètes, ni même à un débat au parlement, avant les élections municipales, prévues au printemps 2008.
On pourrait débattre de ce temps de latence, qui s’explique sans doute par le fait que Sarkozy a noyé des vagues de son hyperactivité médiatique non seulement son opposition, mais aussi sa majorité. Ainsi que les médias, et qu’il est temps de faire un pause sur des sujets médiatiquement subalternes (tels que celui-ci), pour mieux se concentrer sur des sujets plus médiatiquement porteurs (tels que le nouveau traité européen). Ce temps d’inertie vaudra-t-il enterrement en grandes pompes des propositions de ce comité ? C’est à peu près certain pour nombre d’entre-elles (à commencer par la non-cumul des mandats, réforme ô combien désirable et ô combien impossible à mettre en oeuvre aussi longtemps que ceux qui font la loi refuseront de se saborder). C’est possible, sinon probable, pour d’autres (les diverses augmentations des moyens de contrôle du parlement, notamment en matière de défense ou de politique étrangère, qui du reste ne sont rien de plus rien de moins que ce qui se pratique à peu près partout ailleurs en Occident).
Je voudrais simplement souligner les points qui me semblent représenter, au-delà des probabilités concrètes de mise en oeuvre opérationnelle demain, de véritables avancées constitutionnelles.
C’est le cas notamment du référendum d’initiative populaire, qui dans la proposition de la commission, est mixé assez subtilement avec le pouvoir parlementaire. A condition d’être “épaulés” (pour reprendre la formule duMonde) par au moins un cinquième des membres du parlement (soit 180 élus, tout de même), un dixième des électeurs (soit 4,5 millions) pourraient être à l’origine d’une consultation référendaire. De la même manière, les électeurs auraient la possibilité d’avoir le dernier mot en cas de blocage de l’une des deux assemblées sur une révision constitutionnelle adoptée par l’autre à la majorité des trois-cinquièmes. Ceci reviendrait, très concrètement et à mon sens très positivement, à supprimer le droit de veto de fait dont dispose pour l’instant le sénat.
Mais ces deux propositions, si elles ont leur sens et me semblent raisonnables, ne sont pas d’une portée comparable à deux autres, qui marqueraient, si elles étaient adoptées, une véritable rupture des pratiques constitutionelles, comparable à la réforme engagée par VGE en 1974, qui a permis la saisine par 60 députés ou 60 sénateurs du conseil constitutionnel.
La première, c’est l’introduction en droit français du célèbre ombudsman, défenseur des droits fondamentaux, qui dépasserait et de loin les compétences de l’actuel médiateur de la République. Il aurait notamment vocation à s’intéresser à la défense des enfants, aux conditions de privation de liberté en prison et hors du monde carcéral, aux considérations liées à l’informatique et aux libertés. S’il est doté de véritables pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place (que le médiateur n’a pas), d’un budget conséquent et de services étoffés (là encore, ce sont les faiblesses du médiateur aujourd’hui), l’ombudsman à la française pourrait combler d’immenses lacunes en matière de respect des libertés individuelles.
L’autre réforme phare, c’est l’introduction en droit français de l’exception d’inconstitutionnalité. Pour mieux cerner les choses, je crois qu’un retour en arrière est nécessaire. Cette réflexion a émergé dans l’esprit des dirigeants français dès 1944. La première apparition date du projet de Constitution du maréchal Pétain. Il prévoyait que l’exception d’inconstitutionnalité peut être soulevée devant toute juridiction, mais seulement en première instance, soit par le ministère public, soit par les parties, soit, d’office, par la juridiction saisie. Abandonnée à la Libération, l’idée a resurgi dans l’esprit des constituants lors de la rédaction de la Constitution de 1958, sans être inscrite dans le texte définitif.
Même si la procédure d’exception existe déjà dans la pratique du juge constitutionnel, c’est uniquement sous une forme de faible portée. En effet, à travers un “contrôle de constitutionnalité par ricochet”, le Conseil constitutionnel s’est arrogé le pouvoir de contrôler et même de déclarer inconstitutionnelles, des dispositions législatives déjà promulguées, mais uniquement sous certaines conditions très restrictives et qui n’ont connu pour l’instant qu’une seule application concrète.
Pour permettre aux Français de contester une disposition législative déjà promulguée, deux procédures sont envisageables. La première consiste à offrir à tout citoyen le pouvoir de saisir directement la juridiction constitutionnelle afin de faire déclarer contraire à la loi fondamentale tel ou tel texte législatif, exactement comme les parlementaires si vous voulez. Cette procédure peut avoir un effet négatif important, à savoir le risque de remise en cause permanente de la loi.
La seconde procédure, celle proposée par la commission Balladur, est celle de l’exception d’inconstitutionnalité. Cette procédure ouvre aux citoyens la possibilité de contester uniquement dans le cadre d’une procédure judiciaire, la constitutionnalité d’une loi. Une condition supplémentaire restreint néanmoins cette faculté : la loi doit méconnaître une liberté fondamentale ou un principe de rang constitutionnel. Des projets ont été formulées il y a déjà quelques années (1990 et 1993), notamment par le doyen Vedel. Ils donnaient compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi promulguée exclusivement après renvoi des juridictions suprêmes de chaque ordre qui opéraient un filtrage des requêtes. J’ignore aujourd’hui si c’est le sens du projet Balladur. en tout cas, au-delà des conditions techniques, cette réforme me semble aller incontestablement dans le bon sens.
En guise de conclusion, je voudrais souligner le fait qu’il serait souhaitable, sur le plan des droits des citoyens, d’aller encore bien au-delà. Je citerai deux exemples.
Le premier, c’est la capacité pour le Conseil constitionnel de s’auto-saisir. Evidemment, certains y verront le spectre du “gouvernement des juges”, qui ne me semble pas plus vrai en France qu’avec la Cour suprême US. Cette réforme permettrait de s’affranchir d’un contrôle de constitutionnalité au coup par coup, au gré de l’actualité médiatico-politique plutôt que selon des considérations de fond. En outre, cette réforme me semble avoir de moins lourdes conséquences que l’introduction, par le conseil constitutionnel et de sa propre initiative, de divers textes au sein du bloc de constitutionnalité, dont a contrario tout le monde se fout et s’est toujours foutu. Je ne saurai dire si un état de droit (et non un Etat de droit, la nuance est importante) digne de ce nom est à ce prix.
Le second exemple relève pour partie du droit constitutionnel et pour partie du droit pénal. Ce serait l’introduction en droit français d’un authentique Habeas Corpus, qui amènerait de fait à remettre en cause une large partie des prérogatives du juge d’instruction, pouvoir parfois arbitraire (je ne rappelerai pas l’exemple caricatural du juge Burgaud, qui a droit à sa page wikipédia, quelle star) , et en tout cas jamais respectueux des libertés individuelles. L’article 39 de l’Habeas Corpus britannique ne dit-il pas,
Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays.
Dans un pays qui pratique la mise en détention préventive de manière industrielle, dans lequel les maisons d’arrêt sont saturées par ce type de “public”, le texte de 1679 n’est pas d’actualité ; il est d’avenir.